L'antisémitisme en France : où l'histoire ancienne rencontre la rhétorique moderne

 

“lā ʾilāha ʾillā llāh muḥammadun rasūlu llāh.”
« Il n'y a pas d'autre dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète. »

C’est le credo que mon beau-père juif m’a appris à mémoriser à mon arrivée en France.

 « Fils, » me dit-il, « cela a sauvé la vie de mon père, et cela pourrait peut-être aussi sauver la tienne. »

Quand les gens pensent à l’antisémitisme, ils pensent généralement à l’Holocauste. Le père de mon beau-père, Marcel Teboul, a vécu durant cette horrible période de l’histoire. Alors qu’il était en France pendant la guerre, il a été arrêté par une patrouille nazie. Ils lui ont demandé s’il était juif et, n’ayant pas de réponse, ils lui ont ordonné de se découvrir. À ce moment-là, les Allemands ont immédiatement souligné qu’il était juif. Marcel, membre d’une dynastie de rabbins algériens, a pensé à sa femme et à ses bébés cachés et a rétorqué : « Non ! Je suis musulman ! » Il a ensuite cité la célèbre Shahada (ci-dessus) aux officiers en arabe. Ils l’ont donc immédiatement laissé partir. Après tout, c’était un fait bien connu que Haj Amin al-Husseini, le grand Mufti de Jérusalem, ennemi féroce des Juifs, était un ami du Führer.

Malheureusement, aussi vil et brutal que fût le régime nazi, l’intensité de son antisémitisme n’avait rien de nouveau - elle a existé tout au long de l’histoire.

« Alors Haman dit au roi Assuérus : il y a dans toutes les provinces de ton royaume un peuple dispersé et à part parmi les peuples, ayant des lois différentes de celles de tous les peuples et n’observant point les lois du roi. Il n’est pas dans l’intérêt du roi de le laisser en repos. Si le roi le trouve bon, qu’on écrive l’ordre de les faire » - Haman (Esther 3.8-9)

Le plan de Haman n’était pas seulement cruel, mais son raisonnement était également pervers. Il nous a accusés d’être mauvais pour le royaume et qu’il était dans l’intérêt du bien commun de se débarrasser du peuple juif. (Ironiquement, le peuple juif était en fait bon pour la Perse ; lorsque nous étions protégés et estimés dans sa société, la Perse prospérait.)

En avançant rapidement de plusieurs centaines d’années, on peut voir que même les Romains censés être « civilisés » considéraient le peuple juif comme une menace pour la cohésion de la Pax Romana ainsi qu’un facteur déstabilisateur dans la société. [1]

L’empereur Vespasien a introduit une « taxe juive » (Fiscus judaicus) qui obligeait les personnes juives à payer un tribut supplémentaire. Ce tribut soutenait le temple de Jupiter, obligeant les Juifs à soutenir et préserver des rites et rituels païens. Délibérément dévalorisant, le Fiscus Judaicus a non seulement miné et discriminé les Juifs, mais il a aussi ciblé spécifiquement notre croyance dans le Dieu d’Israël.

C’est là que l’histoire ancienne rencontre la rhétorique moderne.

 Aujourd’hui, la France est célèbre dans le monde entier pour son antisémitisme. En fait, jusqu’à quelques années en arrière, il y avait un hameau appelé La Mort-aux-Juifs. « Mort aux Juifs » n’est pas un cri de guerre unique à la France. Dans certaines régions d’Espagne, c’est devenu une expression familière. On en trouve l’origine à l’époque médiévale quand les foules se soûlaient et attaquaient les quartiers juifs. L’expression est utilisée dans certaines villes espagnoles pour signifier « allons boire un verre ».

Mais aujourd’hui, dans les rues de Paris, « mort aux juifs » est scandé dans son sens le plus littéral. La France abritait autrefois la plus grande communauté juive d’Europe. Maintenant, la France est tristement célèbre pour avoir la principale émigration juive d’Europe. Le Premier ministre français, Édouard Philippe, a annoncé que les attaques antisémites avaient augmenté de 74% en 2018. Les événements récents ont inclus des crimes impensables contre notre peuple : torture, viol, vol, coups et même meurtre violent et brutal.

C’est épouvantable, atroce et odieux. À certains égards, on a l’impression que notre peuple est menacé de quelque chose de bien plus néfaste aujourd’hui que ce à quoi nous avions été confrontés auparavant. D’où vient ce mépris grandissant ?

L’agression récente contre le philosophe Alain Finkielkraut émet une certaine lumière sur la question. En février, Finkielkraut rentrait chez lui à pied et a été abordé par des manifestants du mouvement des gilets jaunes. La police est venue à son secours rapidement, mais lors de l’altercation, plusieurs personnes avec des keffiehs ont crié :

-        Raciste !

-        Rentre chez toi !

-         Sale sioniste de m*****, dégage !

Finkielkraut n’est pas appelé un « sale juif », mais plutôt un « raciste » et un « sale sioniste ». Ce changement a probablement à voir avec le fait que le racisme est généralement mal vu dans notre monde postcolonial. En référence aux stéréotypes juifs du parti nazi, le célèbre écrivain français Bernanos a dit un jour qu’Hitler avait « déshonoré » l’antisémitisme [2]

À la place de l’ancienne idéologie nazie, un nouvel antisémitisme plus insidieux - qui dépeint les Juifs comme des impérialistes et des persécuteurs en raison de l’existence de l’État d’Israël.

Comment donc Alain Finkielkraut, dont les parents ont survécu à Auschwitz, pourrait être persécuteur ? Selon l’idéologie de ses agresseurs, parce qu’il est juif, son identité est englobée dans celle d’un Israélien stéréotypé (persécuteur des Palestiniens). Il a parfois essayé de donner un certain équilibre à la propagande négative des médias concernant Israël, et cela est considéré comme une preuve supplémentaire de sa culpabilité. Si les Juifs français montrent un quelconque lien avec Israël - même des critiques constructives -, ils sont présumés coupables de persécution ! S’il est désormais généralement inacceptable que des Juifs soient persécutés sur la base des stéréotypes de l’ère nazie, il est acceptable que nous soyons persécutés, car perçus comme des persécuteurs.

L’Histoire nous montre comment on se débarrasse du « problème juif » : en faisant de nous l’ennemi mondial de la société et, ce faisant, en supprimant notre droit à nous défendre et à exister. Comment survivrons-nous alors ?

La cause du fléau de l’antisémitisme est spirituelle, et c’est là que réside l’antidote. Le peuple juif a été choisi par Dieu : « Car tu es un peuple saint pour l’Eternel, ton Dieu ; l’Éternel, ton Dieu, t’a choisi, pour que tu sois un peuple qui lui appartienne entre tous les peuples qui sont sur la face de la terre. » (Deutéronome 7.6) Ce qui rend le peuple juif spécial, c’est Celui qui le distingue. En fin de compte, la haine contre le peuple juif ne concerne pas les élus, mais celui qui les a choisis. Dieu lui-même a dit : « car celui qui vous touche touche la prunelle de mon œil.» (Zacharie 2.8)

La réalité est que notre monde est brisé à cause du péché. Il ne fonctionne pas comme Dieu l’a créé. La seule façon de le réparer, de traiter ce fléau et de briser le cycle de la haine, c’est par la rédemption. Dans l’amour incommensurable de Dieu pour son peuple et les nations, il nous a apporté un Messie dont le nom même signifie « salut ». Ce salut est né de la souffrance. Yechoua a dit : « Si le monde a de la haine pour vous, sachez qu’il m’a haï avant vous. Si vous faisiez partie du monde, il vous aimerait parce que vous lui appartiendriez. Mais vous n’appartenez pas au monde parce que je vous ai choisis du milieu du monde ; c’est pourquoi il vous poursuit de sa haine. » (Jean 15.18-19). Tout comme le prophète Esaïe l’avait prédit, Yechoua a volontairement assumé cette souffrance, au point de devenir notre expiation - offrant la guérison à son propre peuple et la réconciliation au reste du monde.

Index

1.  Ernest L. Abel, The Roots of Anti-Semitism (London: Associated University Presses, 1975), 91–96

2. Bernard-Henri Lévy, The Genius of Judaism (New York: Random House, 2017), 7

 
Vladimir Lech